Inspiration littéraire pour jeux de rôle – Fœtus d’acier de Serge BRUSSOLO

Editions fleuve noir / coll. anticipation / 1984

Les Fœtus d'acier - Serge BRUSSOLO - Fiche livre ...

Dans un futur incertain, les policiers d’une mégalopole aux atours d’un Paris dystopique ont été remplacés par des robots. Mise au placard sur un poste de scaphandrier, Lise, ancienne flic, travaille avec ses collègues dans le métro englouti sous les eaux pour y identifier les cadavres mystérieusement statufiés. Mais des questions demeurent sans réponse sur la catastrophe qui a détruit le sous-sol et ceux qui y seraient restés prisonniers. Lise va irrémédiablement essayer d’en savoir plus dans une enquête étrange et dangereuse…

Je ne suis pas du tout convaincu par cette couverture bien flippante dont le rapport avec le roman me semble très éloigné… Pour information, ce roman a été ressorti dans une version complète et plus étoffée sous le titre « la mélancolie des sirènes par 30 mètres de fond ». C’est également le 1er opus d’un triptyque intitulé « les soldats de goudron » (surnoms donnés aux forces de l’ordre dans cet univers « brussolien »).

Avis général : L’écriture géniale de Brussolo parvient à nous embarquer dans une histoire à l’imagination débridée poussée dans ses ultimes retranchements parfois au risque de l’absurde. Les personnages secondaires mériteraient un traitement plus fouillé mais l’auteur n’en a pas le temps au vu du format imposé et de son rythme d’écriture à l’époque. Ce n’est pas son meilleur roman mais il reste intéressant à bien des égards pour son univers, sa trame générale et sa fin réussie à mon sens.

Des inspirations rôlistes entre personnages insolites et univers oppressant

Il s’agit de la 3ème critique rôliste d’un roman de Serge Brussolo dans ce format, je renvoie ici aux précédents romans critiqués sous le spectre rôliste : Territoire de fièvre et Les semeurs d’abîmes.

Des personnages peu fouillés mais attachants :

Lorsqu’on attaque un opus de Brussolo sur la période Fleuve Noir dans les années 80, il ne faut pas oublier que l’auteur écrivait avec un certain nombre de contraintes. Evidemment, on en apprend parfois peu sur les personnages, en dehors peut-être de l’héroïne, mais l’auteur a une histoire à dérouler et peu de pages pour développer l’intrigue. Il doit être efficace pour faire d’un apparent basique roman de gare et de genre une aventure qui tienne la route.

Lise est une femme forte et l’écrivain semble prendre un malin plaisir à jouer avec les exercices imposés. S’il la rend sexy, il la dessine également comme belle mais presque trop musculeuse, rebelle dans son attitude mais longtemps fidèle à son corps de métier originel, faussement insensible, d’un instinct redoutable et parfois dotée d’une forme d’inconscient courage. Les contradictions du personnage en font le sel.

Ceux qui croisent la route de Lise sont hauts en couleurs, des flics déglingués et machistes du QG des scaphandriers, en passant par les fonctionnaires blasés du bureau de contrôle ou l’ancien flic alcoolique spécialiste du toilettage pour chiens, jusqu’aux jeunes délinquantes aux allures de punks échappés de Mad Max, sans oublier les étranges humains dégénérés qui hantent le métro submergé. On aurait aimé en savoir plus sur eux, mais ils sont juste effleurés (en dehors du personnage de Victoria, jeune punk ado délinquante, au lien particulier avec Lise et qui semble voir sa personnalité se dévoiler davantage) car le récit rythmé doit passer avant tout, filant de rebondissements en surprises.

En cela, le bouquin a tout d’une partie de jeu de rôle (JDR) en one-shot nerveux. En y réfléchissant, je trouve que le roman me fait aussi penser à certain films des années 80. L’action, l’intrigue et le décorum passent ainsi avant la psychologie des acteurs. Dès lors, je trouve que cette galerie de sombres individus serait intéressante à réutiliser pour des PNJ (personnages non joueurs) en prenant le temps offert par le JDR (idéalement) pour installer leurs enjeux et leurs personnalités afin d’éviter la caricature.

Quant à l’univers décrit, il présente un réel intérêt à condition d’y prendre le meilleur.

Des idées géniales poussées dans leurs retranchements :

Nous voilà donc embarqués dans ce monde glauque et désespéré. Lise vit sous le pont d’une autoroute, entourée d’une muraille de cadavres de voitures, victimes du trafic, dans une immense bâtisse abandonnée. Au delà de la barrière de métal formée par les véhicules, une ville tentaculaire et poisseuse se dessine. L’ordre est maintenu dans les rues par des robots aux allures de boites de conserve mais à la puissance de feu dévastatrice. Les descriptions de quartiers aux fenêtres calfeutrées, de ce métro aux allures de tombeau sous-marin sont autant de pans qui dessinent les potentialités de cette cité. Il y a dans cet univers toutes ces trouvailles qui font du père Brussolo un génial conteur à l’imagination folle. Et que dire de son style, entre efficacité et flamboyance, qui commence à transparaitre aux détours de certaines entâmes de chapitres ou de certaines descriptions.

En voici un exemple évocateur :

Chapitre V

La voiture de patrouille dévorait la bande jaune divisant la chaussée. Son capot oblong, convexe et luisant comme l’élytre d’un insecte ou le métal d’un bouclier, plongeait comme un éperon dans la nuit des rues. Les taches des réverbères glissaient sur la carrosserie blindée, ondulant tels des reflets qui s’abîment au fond d’un étang. Les mains gantées de Lise caressèrent le volant, corrigeant la courbe du véhicule. Tassée dans la coquille de son siège, elle se sentait bien.

Malgré tout, poussant chaque élément de l’intrigue dans ses retranchements, le romancier va au bout de ses idées mais parfois au risque de l’ubuesque. Sur certains chapitres, cette nécessité jusqu’au-boutiste m’a sorti de l’histoire. Je résiste à l’envie de vous dévoiler certains (heureusement rares) de ces passages étranges durant lesquels j’ai pu hésiter entre fou rire et dégout, car j’ai continué à lire avec effervescence ce roman, tant désireux d’en connaître le dénouement.

Alors, on garde quoi du monde de ce roman parfois déroutant mais haletant pour notre bon vieux JDR ?

Plusieurs thèmes peuvent utilement alimenter l’imaginaire des maîtres de jeu.

L’idée certes classique du remplacement par les machines me semble être un élément à retenir, d’autant qu’ici le questionnement va plus loin, car on va évoquer le reclassement des employés remplacés, en l’occurrence, des forces de l’ordre que les autorités vont mettre sur la touche. Est décrite également la nostalgie des policiers, leur mal-être face à un tel déclassement.

Le film Robocop (en référence aux machines concurrentes du héros de Verhoeven) m’est venu tout de suite à l’esprit tant pour ce thème du remplacement de l’humain que pour le look des machines blindées et dangereusement sans nuances.

Aussi, le métro immergé est un lieu original d’exploration et de mystères. A la fascination d’un lieu emblématique s’ajoute le stress du milieu clos et le danger d’une plongée à risque. Le danger guette chaque plongeur, exposé à une coupure du cordon reliant le fœtus d’acier (le scaphandre) au compresseur vital. On sent que l’auteur a étudié son sujet car les notions relatives aux seuils de décompressions traversent ce roman. Là aussi, on élude souvent le sujet autour de nos tables. Il n’y a pas que dans l’espace qu’on ne vous entendra pas crier. De plus, le récit expose à d’autres dangers exploitables pour nos JDR car les stations abandonnées sont habitées par des animaux mutants et d’inconcevables prisonniers. Autour de ce métro, d’autres idées sortent du lot avec la menace constante de truands employés dans l’ombre pour sortir les morts étonnamment statufiés et les remettre à leurs proches, voire pour quelques autres sombres raisons dont je préfère garder le mystère. De même, le concept, parfois poussé à l’extrême dans le roman, d’émanations de gaz dans les galeries ayant des effets inattendus est une excellente option en de tels lieux, d’autant que les PJ pourraient ne pas s’y attendre.

Enfin, l’intrigue que j’évoque peu ici pour ne pas dévoiler tout ce qui compose le roman est plutôt bien menée, car on comprend au fur et à mesure, par le prisme du regard de Lise, les secrets et complots qui entourent cet univers aquatique. Pour faire simple, je pense qu’un secret dans une histoire de JDR ou dans un univers créé n’est pas toujours indispensable mais est très fortement recommandé.

Une image du film Underwater dont je ne sais pas grand chose, mais l’image colle bien au récit

En résumé, s’il faut sans doute mieux préciser les enjeux des personnages dans nos scénarios rolistes que dans cet opus, il peut tout de même être pertinent d’en garder le traitement presque cinématographique entre descriptions inspirées et revirement de situations. De même, l’univers y est bourré de trouvailles inspirantes. Et retenez que si vous voulez aller au bout des thèmes développés dans vos histoires, posez-vous une limite de cohérence pour ne pas perdre vos joueurs.

Pour le jeux concernés, vous aurez l’embarras du choix : dans un univers contemporain, à la COPS, Rouge Delaware (Cthulhu Hack) ou tout autre système dans un monde lovecraftien (l’Appel de Cthulhu, etc.) ; dans un setting de science fiction, comme Berlin XVIII, Cyberpunk ou Shadowrun ; dans un monde post-apocalyptique à la Bitume, Mutant Year Zéro ; même un jeu d’espionnage pourrait utiliser le cadre du métro sans dénoter.

N’hésitez à ajouter des exemples de JDR en commentaire sur cette page, sur instagram ou facebook.

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