Il est question ici d’un premier avis sur le JDR Shadowrun Anarchy, édité originellement par Catalyst, traduit, adapté par Black Book Édition, et proposé en pdf (version bêta) aux joueurs ayant financé le projet. Cette chronique ne peut donc pas être un avis sur le produit final.
ADDENDUM : à ce jour, le livre fini a été livré et vient confirmer l’avis positif de cette première critique (mince j’ai spoilé la suite).
Je précise également qu’à cet article, répondra rapidement un billet sur la jouabilité puisque j’ai pu tester le jeu comme MJ (maître de jeu) lors d’une première partie qui en annonce d’autres…
Courte chronique sur le financement participatif
Il est intéressant d’observer la mutation qui s’opère doucement dans le marché du jeu de rôle (JDR). Les financements participatifs ont permis de relancer ce loisir avec l’appui des parties filmées, de règles accessibles, de mises en pages modernes mais aussi grâce au temps, certainement nécessaire pour permettre une renaissance bienvenue.
Pourtant, acheter un produit avant qu’il n’existe reste encore soumis à l’aléa. Des commandes ont pu réserver de bonnes surprises mais aussi ne jamais arriver. D’autres projets très ambitieux ont été livrés avec des délais parfois déroutants (je pense à ceux qui ont arrêté le jeu de rôle entre le moment où ils ont commandé la seconde édition de Pavillon Noir en 2013 et sa réception en 2019). Beaucoup d’éditeurs semblent commencer à en tirer de sages enseignements. La communication, le suivi de commandes, et plus généralement un vrai travail éditorial avant même la pré-commande participative se développent.
Pour preuve, un jeu alléchant sur l’univers de Jules Verne : Nautilus édité par Studio Deadcrows – a été proposé récemment sur la plateforme GameOnTableTop. En plus d’une proposition envoûtante, d’un matériel de tout beauté, les derniers récalcitrants pouvaient encore avoir une séance de rattrapage avec une jolie partie filmée. L’ensemble est construit pour toucher au mieux des clients potentiels (et les rassurer) en leur présentant les règles in situ. C’est particulièrement bien vu même si nous ne sommes qu’aux balbutiements d’initiatives vouées à se développer.
Si, faussement raisonnable, j’ai résisté à 20000 lieux sous les Mers, j’avais déjà cédé à l’appel du JDR (et oui, je fais mon propre placement produit, trop fort !!) via un financement participatif (qui avait lieu du 26/11/2018 au 07/12/2018) sur la même plateforme : Shadowrun Anarchy édité en France par Black Book Edition.
Si un lecteur se posait la question, j’ai mis des billes sur la deuxième offre comprenant l’exemplaire de Shadowrun Anarchy et le supplément sur Paris « Shadows of Paris » créé pour l’occasion (soit 40 euros) + l’écran pris en option (20 euros). Mention spéciale pour l’illustrateur tourangeau, Benjamin Giletti, déjà auteur de la couverture, qui agrémente l’édition française de visuels supplémentaires.
Pourquoi cet achat ?
Je pense que cela répond d’abord à une frustration d’adolescent. Un ami, fan de l’univers, nous avait masterisé quelques parties dans cet univers génial aux règles trop simulationnistes à mon goût. Dès lors, nous avions fait peu de parties, mais j’avais encore en mémoire ce monde entre Blade Runner et la Fantasy. Je ne l’ai pas rappelé, dans Shadowrun, les créatures de Tolkien côtoient les méga-corporations de William Gibson.
L’autre raison est simple, c’est bien beau d’avoir un joli ouvrage mais il faut penser au plaisir éventuel d’y jouer. J’avais déjà longuement tergiversé sur la version Berlin XVIII made in « Cinquantes nuances de geek ».
Le projet était alléchant mais je pense que mes parties décomplexées sur la 1ère édition version Siroz (comme joueur), en d’autres temps, m’ont laissé un souvenir impérissable. Je me dis que je ne ferai pas mieux… Jon et Punch, flics motards ripoux, écumant la ville et draguant sans vergogne la fille du capitaine ; on était à la croisée de Chips, Starsky et Hutch, l’Arme Fatale, et d’un monde futuriste, glauque, mortel et désenchanté…
Je n’avais pas non plus vraiment envie d’acheter un objet de collection mais un livre pour jouer avec mon groupe habituel voire initier d’autres personnes au JDR sans tomber dans les classiques : l’heroïc fantasy ou l’horreur.
La vidéo réalisée pour l’occasion par l’éditeur a su également lever mes doutes.
Après avoir « pledgé », j’ai eu la bonne surprise de recevoir très rapidement un pdf de la première mouture de la traduction de Shadowrun Anarchy, avec la possibilité pour les financeurs d’alimenter un fil d’errata. De plus, des informations mensuelles détaillées sont transmises sur l’avancée du projet.
Cela me permet l’actuelle critique.
L’avis sur le contenu provisoire (mais très avancé)
Le bouquin entièrement en couleur me semble plutôt bien structuré, agréable à lire et presque finalisé.

Les règles sont simples et intègrent des aménagements, de multiples options de jeu, une certaine souplesse d’utilisation. Si le système initial intègre une narration partagée, il laisse la possibilité de choisir un mode de jeu plus classique. Le corpus de règles intègre tout un champs de modifications possibles, de règles optionnelles pour s’y sentir à son aise.
Donc, nous avons des règles d’un style narratif avec un système plutôt malléable.
Reste un fonctionnement avec des D6 à foison qui pourrait être critiquable… Cependant cela permet de faciliter l’intégration de nouveaux joueurs éloignés du jeu de rôle. Pas besoin de courir les boutiques à la recherche de dés spéciaux !
En fait, je n’ai rien à redire quant aux règles, très faciles à appréhender ; des compétences s’ajoutent aux attributs, en tenant compte d’atouts, et modificateurs de difficulté. Les réussites sont comptabilisées avec les résultats de 5 et 6. Pour réussir une action, un test en opposition est la première option ludique. Le jeu propose d’autres choix avec des facteurs de réussite en fonction de la difficulté (du genre, monter ce mur est plutôt difficile, il faut faire 3 réussites), etc. Des points d’anarchy ajoutent de l’imprévu et permettent aux joueurs des actions plus spectaculaires.
J’adhère totalement au concept transversal qui consiste à envisager cela comme un cadre modifiable pour l’adapter à sa table. Le bouquin permet même de convertir les PJ d’Anarchy à Shadowrun 5, et vice versa.
Sur l’aspect narratif développé par Anarchy, j’admet préférer choisir un mode de maitrise plus classique (je radote, l’option est proposée par le jeu, rien à bidouiller…).
J’en viens à me demander pourquoi j’ai du mal à intégrer la narration partagée alors même que je la trouve géniale dans Tales from the loop. Par narration partagée, il faut comprendre que les joueurs vont proposer des situations et participer à la création de la partie et de l’univers.
Est-ce lié au fait que j’ai du mal à envisager cela avec un jeu qui vend des parties courtes avec un pur run boosté à l’action ? Je conçois le système narratif comme quelque chose qui favorise le rôle play, décentre les prérogatives du maître de jeu, mais aussi qui nécessite de prendre le temps de s’intéresser aux personnages. J’admet avoir du mal à l’intégrer dans une partie qui se veut nerveuse. Pour que la narration partagée fonctionne lorsqu’il faut aller droit au but, il me semble nécessaire que les joueurs maîtrisent le concept, ce qui entre un peu en contradiction avec le coté initiatique de ce JDR. A titre de comparaison, cela me parait mieux explicité dans Tales from the loop.
Énorme point positif : Un immense choix de pré-tirés qui permettent des parties rapides, avec des phrases clés, des citations, une histoire personnelle, un visuel accrocheur, bref, tout est fait pour rendre l’ensemble accessible. J’ai montré les archétypes à des néophytes, ils ont tout de suite été emballés.

Dans le même ordre d’idées, il y a un nombre impressionnant de scenarii, qui sont en fait plus des synopsis, ce qui les rend efficaces bien qu’ils restent plutôt classiques, voire même basiques pour certains d’entre eux. Soyons clair, c’est intéressant pour faire des parties courtes aux objectifs précis et entrer tranquillement dans le monde du JDR. Là encore, tout est présenté en étant adaptable à l’envie.
Pourtant, on peut toucher là aux défauts des qualités du jeu. Je m’explique ; à être dans une version accessible, le jeu ne peut pas tout montrer. Cela va obliger le MJ à combler ces manques s’il veut donner plus de corps aux parties. Il est fait l’économie des plans (de la ville, de bâtiments, etc.) ou de visuels d’équipements, de personnages non joueurs (c’est le cas de nombre de JDR, je sais…). Je me dis que supprimer quelques scenarii pour y substituer des plans (au moins un plan de Seattle) aurait pu être un bon parti pris. Heureusement, il reste facile de trouver ou bricoler des plans de bâtiments via notre internet matriciel. De plus, Shadowrun offre pléthore de suppléments tout au long de ses 5 éditions entre 1989 et 2014.
Dans ce genre de situation, il faut être vigilant quant aux offres promotionnelles et autres bouquins d’occasion. J’ai ainsi profité d’une promo de Black Book Éditions sur les suppléments de la 4ème édition pour dénicher le Runner’s black book, guide de l’équipement du runner, avec photos couleurs à l’appui. Cela m’a évité de pénibles recherches sur les véhicules, les armes pour notre première partie.
De même, je conseillerais aux nouveaux MJ de rajouter des enjeux secondaires aux seuls runs des joueurs ; voire aux PNJ eux-même, bref, à construire leur univers de Shadowrun.
Après une première lecture, j’avais eu du mal à accepter que les récompenses d’XP soient du karma à la place des bons vieux niouyens. Je trouvais que cela ne collait pas avec ce monde très matérialiste. En réalité, nous l’évoquerons dans notre article suivant consacré au test d’une partie, ce n’est pas du tout un problème autour de ma table.
Au final, il faut admettre que le livre réussit le tour de force de présenter l’univers, sa chronologie, ses évolutions, avec un background conséquent qui pallie en partie les manques de visuels de jeu. En résumé, tout est jouable en 266 pages, avec de longues perspectives ludiques, sachant que la VF finale sera plus conséquente (notamment avec le supplément sur Paris)…
Le mieux pour avoir un avis plus tranché (avant la livraison du produit fini) est de le tester : une partie a eu lieu mi-avril avec un groupe de joueurs, avec deux « nouveaux anciens » joueurs et un débutant, un article vous explicitera le traitement choisi avec quelques aides de jeu, des conseils pour agrémenter votre partie et notre avis.
A suivre donc, même si les premières impressions sont très bonnes, donnant enfin le sentiment de pouvoir jouer à Shadowrun sans se prendre la tête…
Ouais, les parties de Berlin XVIII avec Jon et Punch nous ont fait à chaque fois pénétrer dans une autre dimension (en plus de charmantes PNJ). Jon et Punch à jamais dans la légende !

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